ÉRYTHÈME DU DIABLE Prince des Invertébrés,
ÉRYTHÈME DU DIABLE
Prince des Invertébrés, campanile éternel et obscène, croque mort de l'Astrolabe, je le vois poindre et grimacer, ce monstre agrégé, encaustiqué, poli aux encoignures, souple comme un trapéziste: je le vois sautiller à l'extrême pointe de la nuit, ce Maure vernissé aux douze nombrils de cuir, aux gencives damasquinées, galopant de lune en lune, tel le Corgète aux dents blanches de ces contes mi-persans, mi-macabres, que personne n'écrivit ni n'écrira.
Il s'approche de la rampe qui sépare le public mortel de la scène supranormale et salue, tandis que ses genoux fusent comme des brindilles de hêtre, et craquent sous le poids de son invisible et traditionnelle ironie. Et je puis tout mon saoul contempler face à face l'illustre coq-en-pâte e uniforme de mes cauchemars de première communion, l'intrus parfait, le réincarné formidable et rubescent, le crochu, le pendu, le folquimoldou, l'homme mygale au rire de chèvre et de serrure. Je le vois glisser sur la dure nuit et se vautrer sur le blanc des yeux des hommes endormis. Je le vois prendre possession des cerveaux clôturés et du secret des sexes, ce lampyre géant aux dents de sirène. Je le vois dodeliner, mouliguer, fornidre, fulpager et coboindre, ce Diable épique et sournois, un peu juif, un peu mélancolique, digne et funèbre, susceptible, tout juteux de bondissement et de farces, croustillant et solide ermite qui nous asperge d'un rire en geyser, d'un jet d'eau de confiture ésotérique, où nous nous mettons à piétiner avec nos pieds palmés et le varicocèle de nos méninges.
Le diable, c'est le vrai Seul. C'est la momie de gros calibre, une armoire à glace vivante que le Monde entraîne après lui depuis qu'il est monde, comme un chien trimballe, attachée à sa queue, la casserole des gosses à Poulbot. La première fois que j'entendis, tout jeune encore, ces deux vers sirotés par je ne sais quel poète du Chat-Noir:
J'ai mis le surplus de mon trop
Dans le néanmoins de ton pire...
j'ai compris que le Diable n'était pas loin, et qu'il allait me faire un croche-pied de troubade, une belle rosserie d'orteils dans un coin feutré du boulevard de Clichy. La chose ne se produisit que huit jours plus tard. Le Diable prit la forme de l'homme du gaz, et tandis que notre domestique s'exécutait, le démon me montra sa gibecière en peau de ministre où s'accumulaient les cendres éternelles de son Enfer portatif.
Leon-Paul Fargue.